Introduction à : Pourquoi Jul est important
Le rap désintellectualisé, le dogme intellectuel
et l’esprit du Grand Sérieux
Par le Philosophe
Oui ma gâtée ! Bien sûr, qu’ils m’ont raté. Bien sûr ! Comme tu le vois ami lecteur, je suis ce matin d’humeur chantonnante et, précisément, si je t’ai invité aujourd’hui dans la bâtisse, c’est que cela fait quelque temps déjà que j’ai à cœur de te parler du rappeur Jul, qui est pour moi, à bien des égards, une grande source d’inspirati… Eh, comment ! Comme je te vois blêmir tout d’un coup. Je t’assure : jette un coup d’œil dans le miroir à ta gauche, on dirait que tu as vu un fantôme un soir de pleine lune sur le Vieux-Port.
Ah ! C’est l’évocation du nom de Jul, ici même, qui te fait blêmir. Je vois. Oui : tu t’es réveillé ce matin aux aurores, tu as pris la peine de sortir de la ville pour venir jusqu’ici, je ne t’avais pas envoyé le programme à l’avance et je t’annonce tout de go que nous allons consacrer l’intégralité de notre matinée philosophique à parler du J et de ses claquettes. Je comprends que l’association d’idée puisse te paraître de prime abord déconcertante, mais serions-nous pour autant… à contre-sens ? Laisse-moi donc tâcher de te démontrer tout l’intérêt de notre rencontre du jour, et tu verras pourquoi j’ai choisi de te parler de Jul. Nous irons assez loin, mais commençons sans plus tarder par lever notre blocage initial.
Tout comme toi, je suis né au pays de Montaigne, Descartes et Pascal et, j’ai beau te titiller, j’avais l’exacte même réaction défensive outrée le jour où Jul a mis pour la première fois les pieds dans mon champ auditif et visuel. [Ce qui me fait penser à l’instant au merveilleux aphorisme de notre chairman Fred Nietzsche : « Il faut apprendre à aimer », je te le redonnerai à la fin de notre rencontre]. Et au pays de Montaigne, Descartes et Pascal, qu’est-ce qu’on nous a appris à faire dès notre plus tendre enfance ? C’est bien cela : à nous méfier de tout ce qui n’est pas intellectuel ou rationnel. À nous méfier, que dis-je ! C’est bien à HAÏR tout ce qui n’est pas intellectuel, construit, réfléchi, Apollinien et rationnel qu’on nous a appris. Or, d’après un détracteur de Jul aussi remonté contre lui que sachant, comme notre rappeur serait la figure la moins intellectuelle et la plus invasive de ces dernières décennies, eh bien la troisième partie de notre bête syllogisme nous vient alors de façon on ne peut plus cristalline : il faut donc haïr Jul et jeter l’opprobre sur tous ceux qui honteusement l’écoutent. Rappelons au passage que dans cette construction intellectuelle à la mâchoire acérée qu’est le syllogisme, la première proposition s’appelle « la majeure », la deuxième est « la mineure » et la troisième s’appelle : « la sentence ». Les hauts juges de la raison en ont voulu ainsi, et c’est une bien bonne sentence dans notre cas.
On comprend mieux dès lors notre réaction défensive initiale, car toi et moi avons été inscrits le jour de nos cinq ans à l’Ordre des Chevaliers de la Raison et de l’Intellect. Et pourtant ! N’en déplaise aux détracteurs, si nous sommes au pays de Montaigne, Descartes et Pascal, il demeure ce fait tenace que nous sommes aussi au pays de Jul, et le barrage qui a été mis initialement sur sa route a été rapidement débordé puis balayé. Et avec quelle force ! Car une fois passées les premières réticences à la nouveauté et une fois apparues les premières craquelures dans le nacre, c’est plutôt avec moult embrassades et effusions fraternelles qu’a été accueilli le J partout en France, déserteurs comme assidus de la vie intellectuelle étant entre temps entrés dans la danse.
Ce sont précisément ces craquelures qui m’ont tant interpellé, les ayant vu apparaître aussi bien chez moi que très largement autour de moi. Elles constituent à elles seules un point de départ si passionnant que l’on ne peut que s’en frotter les mains l’une contre l’autre à bonne vitesse – d’ailleurs, comme tu peux le voir, c’est ce que je fais à l’instant même. Cela est certainement passé sous les radars de la raison éclairante, et cela est passé très subliminalement par voie d’écouteurs, mais pour ma part je vois dans ces craquelures un champ philosophique si fertile et un objet d’étude, entends-tu ami lecteur, si total que nous allons y consacrer l’intégralité de notre séance du jour. Grâce à Jul, nous allons pouvoir toucher aujourd’hui jusqu’à l’intériorité même de l’homme contemporain, et cela ne devrait pas nous surprendre vu que ses collègues l’appellent « le sang ». C’est que nous est tendu ici un miroir ô combien révélateur des strates intellectuelles et infra-intellectuelles qui font notre construction, et du ciment moral qui tente de les agréger entre elles.
Nous allons grimper aujourd’hui ami lecteur, oui nous allons grimper, et notre horizon commencera à se dégager dès que nous atteindrons le col du rap désintellectualisé. Demain matin, arrivés au camp de base, nous pourrons alors répondre à la question « Pourquoi Jul est important » autour des trois axes suivants : le soulagement existentiel, le dionysiaque et la vitalité artistique. Tu as bien ton matériel d’escalade avec toi ? Alors c’est parti mon kiki.
I) Le rap comme champ de vérité
Ce qu’il y a de plus merveilleux dans l’inductif – par opposition à la déduction, qui est logique et rationnelle -, dans tout ce que nous donne à apprendre l’expérience que l’on vit soi-même, dans tout l’apprentissage contenu dans les seules sensations et pulsions observables en nous et autour de nous, c’est leur formidable pouvoir éclairant sur notre monde. Il y a dans ces fragments purs de vie et dans ces sensations qui viennent redresser nos antennes engourdies bien plus de connaissance à aller puiser que dans n’importe quelle encyclopédie.
Nous avons déjà discuté ensemble de rap lorsque nous avons évoqué la figure de l’artiste, puis Orelsan. Tu sais donc l’importance que j’accorde à ce qui est à mes yeux bien plus qu’un genre musical, mais bien l’une des plus belles arènes de notre sphère publique : voici l’un des derniers lieux où l’homme se dévoile entièrement, tel qu’il est, et c’est cela qui aimante autant car sommeille en nous un impérieux désir, ou besoin, de connaître l’autre. C’est aussi l’une des arènes qui compte le plus de spectateurs : un auteur, par exemple, peut tout autant se dévoiler, mais les chiffres indiquent clairement que le dimensionnement du rappeur en termes de public atteint lui sera incommensurablement supérieur. D’où mon intérêt tout particulier pour le rap comme champ de vérité, car s’il y a dévoilement c’est bien qu’il doit y avoir quelque vérité à observer derrière le voile, à la fois chez le rappeur en tant qu’homme et dans sa vision du monde qu’il partage avec nous, mais surtout chez le spectateur : par la réponse que crée le rappeur chez le spectateur en l’amenant à son tour à se dévoiler par celle-ci, et on parle bien de dizaines de millions d’entre eux pour la France seulement, il doit y avoir quelque chose d’observable qui est porteur d’objectivité. J’ai tâché de t’en donner une illustration autour du besoin de dévoilement lorsque je t’ai parlé d’Orelsan.
L’avènement, en seulement quatre décennies, du rap comme genre musical dominant n’a sans doute pas été assez pris au sérieux ou analysé, et pourtant, en un claquement de doigt, le rap est devenu un mouvement total, un raz-de-marée. Devenus anecdotiques ou des vestiges, les autres genres musicaux – rock, variété, house – pâlissent d’envie face à cette folle ascension d’un genre musical pourtant né dans l’ombre. Il a beau ne pas avoir obtenu encore les galons d’objet de recherche certifié par les sciences humaines ou les tampons du consensus mondain qui lui permettraient d’être discuté librement dans les dîners et salons, le fait demeure que le rap est aujourd’hui présent partout : dans nos écouteurs, dans notre rétine, dans les mailles de notre monde en commun, dans nos représentations sociales, dans notre vocabulaire. Pour toutes ces raisons, le rap est à mes yeux un champ d’observation privilégié de notre époque.
S’il est ce miroir fiable et de plein pied de notre époque, avant de regarder de plus près ce que l’on y voit avec Jul, faisons-nous brièvement historiens du rap afin d’atteindre le premier col. Après tout nous n’avons que quatre décennies à mettre en musique pour obtenir une courbe révélatrice. Ah ! Tu fais bien de me parler de ces autres arènes de la sphère publique qui peuvent elles aussi agréger des dizaines de millions de personnes, comme par exemple le cinéma. Mais permets-moi de te répondre que, même chez les Chtis et leurs vingt millions de spectateurs, on ne saurait à mes yeux trouver quelque chose qui se rapprocherait de la combinaison dévoilement x musique laquelle, par la vérité et les vibrations créées, accède bien à la profondeur même de l’intériorité humaine. Dany Boon ne dévoile pas qui il est puisqu’il joue un rôle, il ne peut toucher notre intériorité autant qu’un Orelsan.
Donc, histoire du rap. Notre rappeur de Marseille, également auto-prénommé l’OVNI, a, pour revenir à lui, si bien modelé le rap qu’il est devenu l’un des principaux chirurgiens à lui avoir donné son quatrième visage.
Premier visage, à la naissance : le rap est né intellectuel. En France, comme aux États-Unis, le rap était souvent politisé, qualifié de « conscient » ; le fond et le message passé primaient ; la structure narrative était construite et travaillée. Le premier exemple qui nous vient en tête est bien sûr IAM, lesquels se sont vus remettre les badges d’acceptation sociale et intellectuelle par Fabrice Lucchini himself. Lucchini adoubant IAM, c’était une spectaculaire et réellement belle jonction de mondes qui s’opérait et, de façon bien séparée, cela nous rappelle à quel point le curseur de ce qui est qualifié d’« intellectuel » est bien souvent relatif : un tel, indiscutablement intellectuel, adoube, alors c’est bon, on peut y aller, la matière doit être intellectuelle. Climat de Terreur dans la vie intellectuelle dans le discernement entre ce qui l’est et ce qui ne l’est pas, mais qui sont les juges et d’où provient la certitude de leur légitimité ? Toujours est-il que big up de nouveau à Fabrice pour une prise de position qui ne devait pas être facile à l’époque.
Au début des années 2000, première mue du rap et nouveau visage, puisque d’intellectuel il est devenu commercial : moins politisé, plus dansant, plus grand public. À l’image de Diam’s, qui ne demandait qu’une chose : qu’on lui laisse kiffer la vibe avec son mec. Début des années 2010 : nouveau visage, nouveau darwinisme rythmé des genres et sous-genres musicaux se dévorant entre eux, puisque de commercial, le rap est devenu introspectif. Plus personnel et dans le dévoilement, comme chez Nekfeu, Damso et Orelsan. Et puis voici que, sans crier garde, retentissent les accords de « Pouloulou »… L’air de rien, c’est-à-dire posé, sous Jack et dans son bendo, Niska initie une révolution cognitive en faisant entrer le rap dans sa quatrième forme : celle qui est devenue aujourd’hui archi-dominante, qui nous intéresse tout particulièrement et que nous qualifions de rap désintellectualisé. Nous venons d’atteindre le premier col.
II) Le rap désintellectualisé
Désintellectualisé : voici un terme qui ne peut que mettre sur ses gardes tout Chevalier de la Raison et de l’Intellect qui se respecte. Le sol s’écroule sous nos pieds, la forteresse est prise d’assaut ! Mais voici que vient notre première remarque au sujet de ce terme, et elle contient à elle seule cent coups de tonnerre et une révolution copernicienne : le terme « désintellectualisé », tel que nous l’entendons et l’employons, n’est absolument pas péjoratif à nos yeux. Bien au contraire. Il ne qualifie strictement rien qui soit négatif, mal, nocif ou moins bien que « intellectualisé ».
La vision du monde telle qu’elle nous a été transmise est à un tel point ancrée dans une construction intellectuelle de la vie – au point même de n’admettre qu’elle comme seule réalité valable et possible -, et la valeur des choses a été à un tel point associée au poids intellectuel qu’on leur a donné, que les deux découvertes suivantes ont bien un air de révolution copernicienne : admettre qu’il y a tout un pan de la vie, une autre réalité, qui puisse parfaitement et légitimement être non intellectuelle ; et que la vie puisse y être tout aussi bonne que du côté intellectuel de la prairie. Attention ça tangue, mais hourra ! Nouvelle terre en vue.
Ainsi « désintellectualisé » ne signifie en aucun cas « bête », avec la charge idéologique évidente que contient ce mot, mais de façon très neutre « non intellectuel », et de façon moins neutre « libéré de son poids intellectuel ». Abominable bascule pour les Chevaliers de l’Ordre : et si la nocivité se trouvait davantage du côté intellectuel de la vie ? Interrogation des plus vertigineuses ! Laissons-la pour l’instant ouverte mais accordons-nous sur le fait qu’il y a bien plus de poids du côté intellectualisé de la prairie. Ce n’est pas une question de valeur, c’est une question de kilos.
Seconde remarque : maintenant que nous commençons à identifier le combat idéologique qui se joue entre ce qui est intellectualisé et ce qui ne l’est pas, il va sans dire que ceux qui voudraient que le rap désintellectualisé ce soit fait par des sots ne vont pas trouver le change dans notre bâtisse. On pourrait par exemple leur rétorquer que l’intelligence, sous toutes ses formes, tout comme le génie, peut parfaitement exclure l’intellect, leur rappeler donc que la valeur d’un individu ne provient en aucun cas exclusivement de son socle intellectuel et leur conseiller enfin de ne sans doute pas avoir la prétention d’organiser le concours des bons points de l’intelligence de l’humanité. Non mais. C’est bien un art comme artifice qui est à l’œuvre dans le rap désintellectualisé, tout comme dans les précédentes formes du rap, et dans tout art. Devons-nous vraiment enfoncer les portes grandes ouvertes – mais oui nous le devons tant l’air est idéologiquement chargé -, en relevant que, dans la vie de tous les jours, par exemple lorsqu’il préside des jurys musicaux, Niska est tout autre que lorsqu’il nous parle de ses réseaux. C’est qu’il a dû avoir… Une intuition.
Et cette intuition c’était la suivante : embarqué dans la capsule la plus propice au voyage et à l’évasion, c’est-à-dire la musique, emmener l’auditeur le plus loin possible en terre désintellectualisée, le plus loin possible de son être intellectuel. Un point de départ avec un banal repérage de femmes sur les réseaux, l’autre qui le followback pas alors que lui pourtant l’avait follow, elle qui persiste en faisant la go qui connaît pas Charo : même si ça abonde de néologismes, ça reste en alphabet latin, mais la structure narrative et le fond du message sont difficilement palpables, comme entre deux eaux. Quelque chose allait bien devoir se déclencher dans la tête de l’auditeur. Par la suite, avec l’émergence des thématiques du Dja Dja, du Djomb, de la Moulaga et de la Bandite, il ne fait pas de doute qu’un prodigieux travail de désintellectualisation a été réalisé au sein du rap game, puisqu’il ne reste plus grand-chose qui soit vraiment bien intellectuel là-dedans. Nous verrons tout de suite que : tant mieux !
Oui : comme tu le vois, je titille tout autant nos amis rappeurs car il faut bien se garder d’ériger des saints, disait le sage. Aya Nakamura n’est pas plus une sainte que Michel de Montaigne n’était un saint. Ils sont simplement tous deux des explorateurs en avant-poste de l’humanité : l’une lui a offert de nouvelles sensations, l’autre de nouvelles connaissances. Et si le bonheur de l’être humain se construit tout aussi bien à partir des sensations que des connaissances qu’il vit et qu’il engrange respectivement, alors il ne devrait pas y avoir de hiérarchie dans la valorisation des apports et donc pas de hiérarchie dans l’appréciation de nos deux Français.
Oserions-nous même aller plus loin, en raisonnant cette fois-ci quantitativement au sujet du bonheur créé par nos deux explorateurs? Car seul le bonheur créé pour et vécu par l’humanité nous importe dans cette bâtisse, il est le seul et unique Souverain Bien, nous rappelle le plus jeune des trois Grands Grecs. Si l’on pose donc l’hypothèse raisonnable de l’équivalence quantitative stricte des différents éléments du bonheur dans leurs apports, c’est-à-dire que la sensation apporte la même exacte quantité de bonheur que la connaissance, c’est-à-dire qu’une minute passée à écouter Dja Dja apporte la même exacte quantité de bonheur qu’une minute passée à lire Les Essais, eh bien : il suffit de rappeler que Dja Dja fait 2:51min et qu’il faut une ou deux bonnes dizaines d’heures pour lire Les Essais, aller voir sur Wikipedia la population de la Terre vers 1600 et rappeler que, même si Montaigne part avec quelques 400 ans de lecteurs d’avance, Aya, elle, dispose d’un public potentiel de 8 milliards d’habitants, de YouTube et d’un clip qui caracole déjà à 877 millions de vues, et nous devrions aisément arriver à la conclusion que l’un des deux a créé quantitativement plus de bonheur pour l’humanité que l’autre (!). Que de malice ! Non : la seule conclusion qui s’impose est qu’un monde fait que d’Aya Nakamura serait privation, qu’un monde fait que de Michel de Montaigne serait privation et que nous avons de quoi nous réjouir franchement, puisque nous avons les deux.
Est-ce que tu as vu ce coup que nous venons de porter au dogme intellectuel ? Comparer Michel de Montaigne et Aya Nakamura : voilà qui devrait créer de vifs remous au sein des hautes sphères de l’Intellect Pur ! Mais qu’ils nous démontrent surtout, les dépositaires du dogme, que la connaissance crée plus de bonheur chez l’homme que la sensation. De toute façon, le débat du rapport au monde et du bonheur obtenu respectivement par la raison et la connaissance ou bien par les sens et les sensations a de tout temps scindé les philosophes. Il nous faudrait, pour parer les arguments des dogmatiques intellectuels et aiguiser notre pensée, une séance entière. Nous ne faisons que proposer une vision équilibrée en postulant l’équivalence de ces deux éléments du bonheur, et tant mieux si cela contribue à réactualiser le débat. Nous pourrions même lancer le hashtag #micheldemontaigneayanakamura pour aiguiller les discussions ! Toujours est-il que, si l’on se soucie vraiment du bonheur, la plus haute valeur devrait être accordée sur le plan théorique au fait de faire danser l’humanité, avec toute la volupté entre les êtres que cela crée et toutes les mailles du monde en commun que cela resserre. Donc : Aya, ce petit rétablissement que nous proposons à notre toute petite échelle et depuis notre toute petite bâtisse, c’est vraiment pas grand chose. Vraiment, c’est trois fois R !
Mais oui ami lecteur, notre séance du jour est dense : allons plutôt prendre l’air cinq minutes.
[Astuce de lecture : découvrir ou réécouter la chanson Réseaux de Niska à ce moment précis de la lecture afin de se désintellectualiser]
III) Ce que révèle la réponse au rap désintellectualisé
Où en étions-nous ? Ah oui ! Nous arrivions au point le plus intéressant de notre séance du jour : la réponse au rap désintellectualisé. Elle fut extraordinaire, ami lecteur. Extraordinaire ! L’Observatoire des Vibrations n’avait pas recensé pareille activité depuis des décennies ! Et cela alors même que les compteurs de streams et statisticiens de YouTube nous confirment déjà bien que le rap désintellectualisé a plus que dépassé en ampleur les précédentes formes du rap, au grand dam d’Akhénaton, du 113 et du Fenek.
Peu après Niska et ses Réseaux, lesquels, de La Courneuve à La Muette, se sont retrouvés invités à chaque soirée, toute la France a été prise par surprise par une déferlante de Moulaga laquelle est venue hisser les vibrations hexagonales vers de nouveaux sommets. C’était incroyable ami lecteur, cela vibrait de toute part ! De mémoire d’observateur – travail d’observation que j’ai mené avec la plus grande des assiduités depuis l’achat du CD 2 titres « Bye Bye » de Ménélik à l’âge de huit ans avec mon argent de poche – je n’avais jamais vu pareille réponse. Pour te dire : j’ai même été aux premières loges d’un mariage majestueux et digne d’un conte de fées pendant lequel, entre chaque plat, debout sur leur chaise et en faisant tourner les serviettes, les invités ont entonné la Moulaga à huit reprises au cours de la même soirée en y mettant à chaque fois une intensité croissante, comme dans un grand cri du cœur.
Et ce grand cri du cœur, grâce à notre escalade nous sommes arrivés à temps pour en être les témoins et nous en devinons à présent les raisons : l’étau de la vie intellectuelle et celui de l’esprit du Grand Sérieux se font sentir si fort autour de nous que le séjour en terre désintellectualisée qu’offre le rap sous sa forme actuelle produit au contraire chez celui qui ose entrer dans la danse l’effet de la plus grande et de la plus libératoire des jouvences. C’est beau comme un jour de grande libération, et cela fait tout simplement du bien. Le rap désintellectualisé : voici donc l’œuvre de bienfaiteurs !
Des bienfaiteurs doublés de révélateurs qui viennent éclairer les craquelures d’une construction qui a voulu faire de l’homme un être 100% intellectuel. Une construction bien inhumaine donc et qui manque ce qu’est l’homme dans toutes ses aspérités et dans toutes ses pulsions de vie. Cela est si limpide à mes yeux, et nous terminerons de développer cette partie demain en lui donnant de la perspective lorsque nous parlerons davantage de Jul : le succès que connaît le rap désintellectualisé est à l’exacte mesure du sentiment de révolte intérieure qui germait en l’homme à l’encontre du dogme intellectuel et de l’esprit du Grand Sérieux.
La meilleure des preuves est ce fait saisissant et si beau d’universalisme que le rap désintellectualisé a pris chez toutes les couches de la population, y compris les plus diplômées et donc les plus « intellectuelles ». Un jour, je te présenterai mon ami Julien, pourtant diplômé de Sciences Po Paris, et qui n’écoute que du Jul. Pareil pour mon amie Olivia, qui pourtant prépare sa thèse à l’ESCP, et qui ne s’expliquait pas pourquoi elle écoutait en boucle Bande Organisée et la Kiffance lorsqu’ils sont sortis. Et que dire de mon ami Antoine, tout autant diplômé, et qui à chaque fin de soirée chante façon Baryton la phrase spécifique : « Il est cinq heures passééées » dans Djomb, de Bosh. Et je ne te parle même pas de mon amie Elsa, avocate, et qui est littéralement possédée par la chanson « Best Life », de Naps, et Gims. Puisque je te dis que c’est une véritable déferlante ! Mais qu’elle est salutaire cette déferlante, et libératoire ! Merci bien le J, et les autres bienfaiteurs !
Terminons notre séance du jour en introduisant l’esprit du Grand Sérieux, lequel est toujours enveloppé dans sa cape en velours, couleur pourpre. Que nous dit-il ? Déjà, il est petit de taille, ce qui fait qu’il nous parle à mi-hauteur. Il s’adresse à nous en ces termes :
« Écoute-moi, être humain. Écoute ! La vache : elle, elle passe ses journées à brouter de l’herbe, mais toi, tu n’es pas un ruminant ! On peut espérer un peu plus de toi, car tu as été doté d’intellect, alors fais-en bon usage, palsambleu ! Valorise ton intellect ! VA-LO-RI-SE-LE ! Réfléchis, et commence par réfléchir à comment le valoriser ! Toutes tes autres facultés non intellectuelles, tu les mets de côté, je ne veux pas savoir : on n’a pas le temps pour ça ! Le plaisir ? Tu as la lecture pour ça ! Explique-moi à quoi bon peut te servir de vivre les choses quand tu peux les apprendre ? Non mais LOL ! Attends : je dois me libérer la gorge, j’ai un gros crachat qui me vient. Voilà, c’est fait !
Écoute, être humain ! Écoute-moi ! Je te rappelle que l’existence c’est quelque chose de SÉRIEUX et que ta seule vraie tâche à toi, c’est la reproduction de ton espèce ! Tout le reste, tes envies de plage tout ça, on s’en fout ! La plage : je ne connais pas de meilleur endroit au monde pour RÉFLÉCHIR, alors sers-toi de ta RAISON, parbleu, pour construire ta vie et faire les bons choix ! Tu essayes de me repousser de la jambe ? Tu n’aimes pas ce que moi, l’esprit du Grand Sérieux, ai à te dire ? Mais reviens ici, car je n’en ai pas fini avec toi être humain, reviens ici !
Pour remplir le frigo et pour engendrer, il te faudra travailler, et tous les jours ! Tous les jours, je te dis ! Métro. Boulot. Puis de nouveau métro. Et puis dodo ! Et pas trop tard le dodo, pour être en forme le lendemain. Et quand tu atteindras la retraite, là, à ce moment-là, tu pourras souffler un peu ! La retraite : je ne connais pas de meilleur moment pour redevenir À FOND l’être de connaissance vers lequel, je te rappelle, tu dois tendre toute ta vie ! Tu pourras ENFIN passer l’intégralité de ton temps à t’instruire ! Voilà être humain : c’est ça la vraie vie ! ».
Pfiouuuuu : sacré personnage, que l’esprit du Grand Sérieux !
Allez, allez, du champ ! Va donc voir ailleurs bonhomme, avec ta cape pourpre, mais sache bien tout de même une chose avant de partir, une chose qu’il est vraiment important à mon sens que tu gardes à l’esprit. Cette chose c’est que… Tu es prêt ? Alors je vais te la dire. Cette chose c’est que : en survêêêt’ dans l’carrééééé, on est sous MOULAXXX !! Eh bah ouais, la zone ! Et merci bien, la zone !
Ami lecteur, les fondations sont à présent posées. On fait le signe, et on se retrouve ici demain à la même heure. Bon retour !
La suite dans: Pourquoi Jul est important.