L’homme est le créateur – Partie 1 – L’homme est le créateur


Partie 1 – L’homme est le créateur

Par l’Entrepreneur

 

 Bienvenue en ce mercredi dans la bâtisse ami lecteur, et je te remercie d’être venu à une heure aussi matinale. Nous allons aujourd’hui en venir assez rapidement au fait.


 Tu sais, tout ce que nous aspirons à faire dans cette bâtisse avec le Philosophe, c’est de poser des bougies tout du long du chemin de l’entrepreneur et tout du long du sentier de l’artiste. La seule mission que nous nous sommes donnée, c’est baliser pour illuminer ce que nous voyons comme les deux principales voies de la création, celles qu’empruntent et que vont emprunter les créateurs d’aujourd’hui et de demain. Pourquoi l’entrepreneur, pourquoi l’artiste ? Parce que ce qui les réunit et les joyaux que découvre celui ou celle qui fait le choix d’emprunter l’une des deux voies – l’action, la création, la haute liberté, la participation au monde en tant qu’œuvre -, font tout simplement partie à nos yeux des plus grands trésors de l’humanité. Et, le long de ces sentiers et de ces chemins, qui dit trésors, dit bien bonheur. La seule quête.


 Si c’est de création dont nous parlons beaucoup ici, nous vient alors naturellement à l’esprit la question suivante : mais qui donc est le créateur ? Qui est celui qui crée ?


 Nous avons déjà répondu par particularismes à cette question en affirmant d’abord que l’entrepreneur est le créateur, puis nous vient immédiatement ensuite que, bien sûr, l’artiste est le créateur. L’artiste est on ne peut plus associé à la création et, ce que nous avons cherché à faire également, c’est rehausser l’entrepreneur à la hauteur même de ce pôle vibrant de la création. Lui, qui a été si vulgairement rabaissé par l’économiste au simple rang de chef d’entreprise ou – pire ! – d’agent économique. La rien compris l’économiste. C’est moi qui te le dis et te le redis, il est totalement passé à côté de la part d’homme d’action et de créateur en l’entrepreneur, l’économiste. Mais ne nous attardons pas là-dessus aujourd’hui, ou ça va encore me mettre dans tous mes états.


 Aujourd’hui, ami lecteur, à la question « qui est le créateur ?», nous n’allons plus répondre par particularismes. « Qui est le créateur ? », nous demandons-nous aujourd’hui. Eh bien, je vais te donner ma réponse, dans sa plus grande entièreté. L’homme est le créateur. Tout homme est un créateur.


 Tu doutes de cela, peut-être ? L’homme est le créateur… On dirait presque une formule à prononcer lentement et avec gravité devant le sphinx pour que la pyramide s’ouvre, pas vrai ? J’ai pourtant bien vu l’éclair dans ton regard accueillir cette réponse avec un mélange de satisfaction contenue et de perplexité circonspecte.


 Commençons par quelques brèves précisions. L’homme est le créateur : cette réponse peut venir de façon d’autant peu immédiate à l’esprit qu’il y a tout d’abord bien sûr un spectre entier de la création, mille gradations et intensités possibles dans la création. Nous convoquons ensuite dans notre réponse aussi bien des états antérieurs que des états souterrains de l’homme, nous y reviendrons. Nous associons enfin à notre définition un champ large en intégrant à la fois ce qui est en actes, et ce qui est en puissance. Ma vision de l’homme qui n’est pas en ce moment précis un créateur en actes dans l’affirmation de soi par la création, la voici : je le vois à la fois comme un créateur déchu car tombé d’un premier âge d’or de la création, et à la fois comme un créateur en puissance.


 Âge d’or ? Bien sûr : tout homme est créateur, en actes ou en puissance, car tout homme a été intensément créateur durant des années entières de sa vie. Des années entières de sa vie, oui. Ce sera d’ailleurs le principal élément de réponse sur lequel nous allons nous appuyer aujourd’hui tant il est universellement partagé et irréfutable. Tu sais, à ce titre, notre chairman le grand Fred nous explique que l’homme est le créateur car, la nuit, il rêve et crée abondamment ainsi des mondes oniriques par la pensée. L’homme, par le rêve et en prise avec son seul inconscient, renoue avec qui il est ou qui il a été. D’autres philosophes nous expliquent que l’homme est le créateur car il est doté d’une faculté maîtresse éminemment créatrice : l’imagination, bien sûr. Mais ces éléments de réponse, ce ne sont que des songes, nocturnes ou diurnes, et, ce qui est à déplorer au sujet des songes lorsqu’on essaye de construire un propos, c’est leur caractère vaporeux et donc si peu tangible.
 

 L’homme est le créateur car il a été intensément créateur les premières années de sa vie : bien sûr ! Empiler des cubes les uns sur les autres, faire rentrer des carrés dans des ronds, gribouiller, dessiner, se déguiser, jouer, organiser des dinettes, être comédien de rires ou de pleurs : la vie humaine dans ses premières années est pour sa très grande part intense et féconde activité créatrice. Mieux que cela : parce qu’elle est et apparaît comme sa toute première nature, la nature de créateur est la plus authentique, la plus véritable nature de l’homme. L’homme est le créateur car l’homme, lorsqu’il naît puis évolue les premières années de sa vie, est spontanément, principalement, primordialement créateur.  


 Je… t’ai fait verser une petite larme quand tu t’es revu en train de gribouiller… Excuse-moi. Mais tu sais, moi aussi, je gribouillais ! Tous, nous gribouillions ! Te rends-tu bien compte de ce que nous disons là ? La nature créatrice primordiale. Et en même temps, c’est loin d’être évident de rendre bien palpable cette réalité-là, car voici que vient ce colosse de paradoxe : un état de fait aussi objectif et aussi indiscutable, aussi prolongé dans le temps, aussi matériellement jonché de cubes, de dessins, de jouets – autrement dit d’une intense activité créatrice qui pointe clairement vers une première nature de créateur de l’homme -, eh bien tout ceci nous apparaît peu saisissable et donc de prime abord pas totalement convaincant, pour la simple et bonne raison que nous n’étions pas, à cet âge-là, dotés d’une conscience suffisamment aigüe des choses et de nous-même. Et puis, on sait bien que tout ce qui a trait à l’enfance, à notre enfance ou à la part d’enfant que certains ont su conserver, eh bien tout cela se doit d’être rapidement balayé d’un revers de la main. Tout cela n’est pas vraiment digne d’intérêt, notre enfance, qu’on nous dit : inutile ici de s’attarder ! C’est qu’il s’agit d’avancer. C’est qu’il s’agit : de grandir.
 

 Alors que, si justement on prend ce temps bien précieux de s’attarder, et si on invoque ici des images bien familières et des clichés confortables : toi, petite fille, tu as dû passer un temps considérable à créer des scènes de dinette avec tes poupées favorites et nous, petits garçons, avons dû passer un temps tout aussi considérable à imaginer des scénarii d’invasions extra-terrestres avec nos power rangers. Mais, que font la petite fille avec sa poupée et le petit garçon avec son power ranger entre les mains ? Ils sont tous deux bien sûr artistes, car hautement scénaristes, hautement réalisateurs, hautement concepteurs de mondes et les voici déjà aussi… Acteurs ! Mais quel artiste polyvalent, accompli et fécond que l’être humain dans sa toute première nature, lui qui déjà gribouille et dessine sans s’arrêter, lui qui déjà émet ses premiers sons musicaux en tambourinant joyeusement sur son xylophone, lui qui déjà, tout jeune auteur, se met à assembler des mots entre eux écrits en grosses lettres sur une feuille de papier. Et chaque acte créateur s’en suit immédiatement de matérialité, nous ne sommes donc pas ici dans une créativité qui reste imaginaire. Oui : toute cette pulsion créatrice si puissante vient se décharger en objets, en sons, en lettres, en œuvres, en… Je… Ooooooh, il ne faut pas ! Tiens, tu as la boîte de kleenex juste ici, sur la table basse. Ça fait du bien ! On est aussi ici pour ça aujourd’hui.


 Voilà, pour terminer sur notre premier point du jour. Ce fait-là, que l’homme advient dans sa toute première nature en tant que créateur, eh bien ce fait-là est si existentiellement central – si central ! -, s’inscrit à ce point dans un vécu si communément universel et partagé par tous les hommes ; et est à la fois si absent – si absent ! – dans nos consciences, que l’on ne va pas hésiter à graver ces faits dans le marbre pour de bon. Après tout, ce n’est que pour parler de création et pour réveiller la création en l’homme que nous sommes là, alors que si peu parlent de ces sujets. Donc. Les activités de la première version de l’homme sont uniquement de trois ordres : physiologiques, créatrices et dans la réception d’apprentissages. Les activités physiologiques, on visualise bien, surtout si tu as toi-même l’occasion de changer des couches ou de passer tes nuits dans la cour des miracles… mais, excuse-moi ! Je ne devrais pas faire ça : te faire voir l’enfance avec tes yeux de mère ou de père, le cas échéant. Nous devons ici  uniquement voir l’enfance comme notre tout premier état de nature à nous, le nôtre, le plus profond.
 

 Les activités de réception d’un apprentissage ou éducatives, nous allons y revenir. Et donc, une fois que l’enfant, la toute première version de l’homme, a mangé, dormi, fait ses besoins et qu’il est laissé à lui-même, donc parfaitement libre, et avant qu’on vienne lui rogner de son temps avec l’éveil éducatif, que fait-il ? Que ne sait-il même faire d’autre que faire ? Il joue, il invente, il dessine : il crée. Vers quelle activité se porte spontanément toute sa petite et joyeuse force vitale ? Vers la création.


 J’emploie à dessein le terme de « créateur » et non pas « artiste » car le premier a un sens plus large que le second en ce qu’il intègre, en plus de l’œuvre, la catégorie de l’action. La toute première version de l’homme fait en effet aussi apparaître l’homme d’action qu’il pourra devenir car, nous l’avons vu avec notre chère Hannah Arendt, l’action est inséparable de la faculté d’initier et l’action, contrairement à l’œuvre de l’artiste, ne laisse pas de trace matérielle sur son passage. Or la première version de l’homme n’est qu’initiation en permanence : jeux, cache-cache, chat, ce que tu veux ! Tout cela ne laisse aucune trace matérielle. Ici, pas d’œuvre, que de l’action. L’homme d’action initiateur est bien présent dans le petit d’homme, et est donc bien présent en nous.


 Que se passe-t-il juste après ? L’éveil éducatif puis l’éducation viennent dans un premier temps canaliser cette effusion créatrice puis, d’année en année et de façon quantitativement de plus en plus soutenue, se substituer à elle dans le temps imparti. Mais cette évolution n’est pas uniquement quantitative, la bascule se faisant aussi et principalement sur le plan qualitatif. C’est en effet bien une inversion des valeurs qui est proposée, pour ne pas dire imposée, de façon plus ou moins consciente et avec plus ou moins de douceur à l’enfant. Cette inversion des valeurs qui ne va que s’amplifiant au cours de la vie de l’homme, dans l’immédiat lui dit la chose suivante : tout ce qui a trait à la création, ça ne devient plus du tout aussi prioritaire ou important, car ce qui l’est vraiment, c’est ton éducation.


 Soyons clairs : à aucun moment je ne dis ici que cette première phase d’éducation-là est infondée, non nécessaire, non indispensable. Nous sommes bien ici entre personnes… éduquées. Eh eh : savourons ce petit moment de doute vertigineux qui est soudainement venu remplir la bâtisse. Tu sais bien que je ne t’ai pas proposé de venir pour causer banalités. Mais donc, au sujet de cette première phase éducative, je te rassure et je dis bien qu’elle est à mes yeux salutaire et indispensable pour que l’homme puisse devenir un individu complet, c’est-à-dire y compris doté des moyens d’affirmer son être créateur ultérieur. Comment par la suite écrire des vers si on ne connaît pas l’orthographe, la conjugaison et la grammaire ? Nous pouvons donc en toute tranquillité refermer ce premier moment de doute vertigineux.
 

 Car c’est ici, maintenant que nous avons atteint le premier col, que débute véritablement notre ascension. Une petite pause, pour reprendre notre souffle ? Ah ! Je me savais bien entouré de compagnons vigoureux. Regarde, voici notre cap :


 En adoptant, comme nous venons de le faire, le contre-point total qui vient rétablir la création comme première valeur de l’homme, car à l’image de sa première nature, nous allons rapidement trouver sur notre route les plus grands dogmes, les plus hauts totems. Des totems, oui, de ceux qui sont les soubassements en granit qui portent les instances de notre monde tel qu’il a été construit en l’état et tel qu’il se présente à nous, des totems qui vont, avec la brèche ouverte par la transmutation des valeurs que nous venons d’opérer, se révéler à nous de toute leur vertigineuse hauteur. Et ces totems, bien naturellement, nous allons leur porter l’entaille. Eh ! Tu t’imagines bien que nous n’allons pas nous contenter de les laisser être là, tranquilles, ces totems érigés pour assujettir l’homme, pour produire l’homme amoindri. Oh, l’aventure à haut risque à laquelle je te convie ! Comme tout cela s’annonce sulfureux. Mais seulement en apparence, t’inquiète, et tu comprendras bien vite la raison pour laquelle je t’ai proposé cette ascension aujourd’hui.


 Des totems qui viennent exercer leurs effets annulateurs sur l’homme et se mettre au travers de la route qui le mène à son bonheur : bien sûr ! Car si je t’ai parlé plus tôt du créateur déchu, c’est bien qu’il s’est passé quelque chose. Préparons nos paquetages, nous partons bientôt.


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